
Le Vigneron et la Mort
Le Vigneron et la Mort est un court-métrage d’animation 2D « dessin animé » animé à 12 images/seconde. Les décors aquarellés, le compositing et la post-production seront réalisés chez Imaginastudio (Lausanne), tandis qu’une équipe d’animation image par image mettra en mouvement les personnages à un rythme volontairement artisanal.
Le financement mobilise l’OFC, Cinéforom et la RTS, complétés par un possible sponsoring valaisan. Le plan de travail court de juin 2017 à janvier 2018, pour une finition en avril 2018, et réunit des voix reconnues – Kacey Mottet Klein et Jean-Claude Dreyfus – déjà complices des précédentes productions du studio.


Au cœur des Alpes du XVIIIᵉ siècle, alors qu’une fillette veille sa mère mourante, un conteur lui narre le destin d’un jeune vigneron éperdument amoureux : afin d’obtenir la main de sa bien-aimée, celui-ci élabore un vin si divin que la Mort en personne vient y goûter. Quand il découvre que la fiancée doit bientôt succomber à la peste, le vigneron, fou d’amour et d’orgueil, parvient à capturer la Mort dans un tonneau. Mais en suspendant ainsi l’ordre naturel des choses, il libère une malédiction terrible : privés de trépas, les habitants sombrent dans la souffrance et la folie, jusqu’à ce que la Mort, enfin relâchée, vienne réclamer un prix plus lourd encore que celui d’un seul cœur.







Lorsque je découvre ce vieux conte, je suis loin d’imaginer que la patience exigée pour faire mûrir un vin d’exception serait la même pour réaliser un film : sept années complètes entre les premiers croquis de 2014 et la sortie en 2021. À l’époque, je peaufine déjà un long projet de stop-motion (qui n’a toujours pas vu le jour) quand je propose à Arnaud Gantenbein de nous lancer, en parallèle, sur « un petit film plus rapide ». La graine est semée : sans le savoir, je viens de tendre la vigne qui portera Le Vigneron et la Mort.
Peu à peu, je façonne ce monde de Suisse médiévale imaginaire : des visages, des costumes, des paysages qu’il faut inventer de A à Z. Les soirs et les week-ends, je crayonne, je restructure le storyboard, je cherche des financements. Une conviction, toutefois, ne vacille jamais : le film sera animé « à l’ancienne » et ses décors naîtront de simples aquarelles. Ni Arnaud ni moi n’avions encore réalisé de dessin animé ; si nous avions mesuré la difficulté d’un court-métrage de près de vingt minutes, nous aurions sans doute crié : « Fuyez, pauvres fous ! »
Quand la production s’ouvre enfin, début 2019, je passe une première année entouré·e d’animateur·rice·s, de clean-up artists et de motion designers qui donnent vie à chaque plan. Puis vient 2020 : seul dans l’atelier, je peins les aquarelles des décors au rythme des confinements. Le conte résonne étrangement avec la pandémie ; cet avertissement sur la Peste rejoint notre présent. Dans ma version, le Vigneron centenaire libère sciemment la Mort par amour pour Mathilde ; l’amour, moteur et transgression à la fois, devient le cœur du récit. À travers ces images inquiétantes qui interrogent nos angoisses humaines, je cherche malgré tout à distiller une parcelle de beauté et de magie.















Rough : de petites vignettes puis des poses clés esquissent l’action, le rythme et l’intention du plan. Les animateur·rices établissent le timing, la silhouette, l’expression et l’espace sans se soucier de la propreté du trait. Clean : sur cette base, on redessine chaque image avec un line-art précis et homogène ; c’est ici que l’épaisseur des traits, les détails et la stabilité des volumes sont verrouillés pour toute la séquence.
Colors : on applique d’abord des aplats (flats) pour chaque zone, puis les ombres, reflets et brillances. Les color-keys définissent l’ambiance lumineuse, garantissant la cohérence entre les plans. Background : les décors sont peints (souvent en numérique) avec leur propre palette ; ils donnent la profondeur, l’échelle et l’atmosphère qui serviront de scène à l’animation colorée.
Compositing : étape finale qui assemble l’animation, les couleurs et les ombres avec le décor. On y ajoute effets lumineux, particules, flous de mouvement, éventuels mouvements de caméra et corrections colorimétriques. Le compositeur équilibre chaque couche pour livrer le plan final, prêt au montage.











Les Personnages
Lors de la phase de développement, Valérie Juillard a esquissé des designs très réalistes. Elle m’avait pourtant mis en garde : plus le trait est fidèle au réel, plus chaque mouvement devient coûteux et délicat à animer. Absorbé par l’enthousiasme des premiers tests, j’ai d’abord ignoré ce conseil… avant de constater que ces personnages luxuriants rendaient la moindre action laborieuse. Ce constat a déclenché une nouvelle recherche graphique : trouver une silhouette plus épurée, prête à bouger librement sans sacrifier la lisibilité.
Le croquis décisif a surgi : un visage immédiatement reconnaissable grâce à ce nez démesuré qui intrigue autant qu’il dérange. Je voulais que le public se demande : « Pourquoi un tel appendice ? » – la réponse n’apparaît qu’au dénouement, lorsqu’on découvre la responsabilité du Vigneron dans la propagation de la peste. Son profil évoque déjà le masque de médecin-bec ; il porte ainsi, avant l’heure, la marque de la Mort qu’il va libérer. Par sa seule silhouette, le personnage devient une allégorie ambulante, annonçant le drame à venir.
Pour pimenter le récit, j’ai créé le Père : absent du conte d’origine, il sert de premier antagoniste, farceur et extravagante tête de manoir – clin d’œil assumé au Château des Ombres. Son humour grotesque fait d’autant plus ressortir la tonalité tragique qui s’installe ensuite. L’esthétique des vignes a guidé mes recherches : je voulais que les ceps tortueux se reflètent dans la chevelure du Vigneron (sa mèche torsadée) ; j’ai renoncé à ce parti-pris pour Mathilde afin de conserver la grâce réaliste de ses cheveux dans le vent. Plutôt que de les vieillir dans l’alcoolisme et l’aigreur, j’ai choisi une évolution plus tendre : leur amour finit par libérer la Mort. Mes inspirations oscillent entre la poésie de Paul Grimault, l’univers de Hayao Miyazaki et le pur plaisir de références télévisuelles surgissant par surprise.












